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31 de mayo de 2013 |

La bourse ou la vie : le Droit à la Santé pour tous menacé par les paradoxes du libre-échange

Si aujourd’hui les médecins sont sans frontières, les médicaments, eux, restent aux douanes.

Le lundi 1er avril, la cour suprême de New Delhi (Inde) a rejeté la demande de brevet du laboratoire pharmaceutique suisse Novartis sur le Glivec, un médicament contre la leucémie. Ainsi, l’Inde est devenu le premier pays à rejeter un brevet sur ce traitement, alors qu’il est protégé dans environ 40 pays dans le monde. Le 4 mars, le Conseil d’appel indien en propriété intellectuelle (IPAB) avait aussi maintenu l’autorisation de produire le générique d’un médicament anticancéreux mis au point par Bayer, que l’entreprise vendait 4 000 euros pour un traitement d’un mois. Sa version générique ne coûte désormais que 125 euros. Les juges indiens reprochaient en effet à l’entreprise de ne pas avoir exporté son médicament en Inde en 2008, puis de n’en avoir acheminé qu’une très faible quantité en 2009 et 2010.

Ainsi, encouragée par le gouvernement indien depuis les années 1970, la production de génériques est devenue le fer de lance de l’industrie pharmaceutique du pays, premier fabricant mondial. Mais en 2005, dans le cadre des accords de l’OMC (ADPIC) mis en place en 1994, l’Inde a commencé à octroyer des brevets sur les médicaments pour se conformer aux règles du commerce international, tout en ayant conçu sa loi avec des mesures de protection, telles que la clause dite section 3(d), qui empêchent les entreprises d’abuser du système des brevets. Cette section empêche par exemple les entreprises de breveter des médicaments qui sont des modifications de médicaments existants, dans le but d’étendre leurs monopoles. L’Inde peut aussi avoir recours aux « licences obligatoires ». Ce dispositif permet à un pays de contourner les brevets pour fabriquer à moindre coût des médicaments, trois ans après leur mise sur le marché. Dotée de 8000 laboratoires, l’Inde exporte environ la moitié de sa production de médicaments génériques vers les pays en Développement, et produit plus de 80% des génériques utilisés contre le VIH/Sida. Des millions de patients, qui n’ont pas accès aux traitements brevetés contre le paludisme, la tuberculose ou le VIH, en dépendent.

« Le marché des génériques est essentiel pour faire baisser le coût des soins», affirme Judith Rius, qui mène la campagne d’accès aux médicaments essentiels pour Médecins Sans Frontières (MSF).

Mais l’enjeu de la santé pour tous, compris dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement au travers du combat contre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies, reste entravé par la recherche de profits des principales firmes pharmaceutiques. Leurs politiques agressives de brevets leur permettent de pratiquer des prix élevés et de limiter la concurrence en Recherche et Développement. Depuis avril, un accord est en cours de finalisation entre l’Union européenne et l’Inde. Un accord qui apparait aujourd’hui menaçant pour l’accès aux médicaments des pays en Développement. En effet, certaines clauses pourraient avoir un fort impact aussi bien en Inde que dans l’ensemble des pays qui s’approvisionnent massivement en médicaments génériques à bas prix. Même si les extensions de durée des brevets ont été retirées de l’accord proposé initialement, les clauses concernant l’application des règles de propriété intellectuelle (PI) et les investissements demeurent préoccupantes. (cliquer ici pour plus de détails)

Le mardi 9 avril, de nombreux membres de la Société Civile avaient d’ailleurs manifesté contre cet accord à Bruxelles. Une prise en charge de l’enjeu de la santé sur le plan mondial «par le bas» dont Fabien Cohen, de l’Association France Amérique Latine, réitère l’importance : «La question n’est pas seulement un problème de l’Etat, mais aussi des mouvements sociaux, qui doivent s’emparer de ces questions là».

De plus, des stocks de médicaments génériques, en provenance des pays en Développement ont régulièrement été stoppés dans plusieurs pays de l’Union européenne ces dernières années, alors qu’ils n’étaient qu’en transit. Et ce pour cause de "violation de propriété intellectuelle". N’oublions pas, plus récemment les accords TPP (Accords de Partenariat Trans-Pacifique) négociés récemment à Lima, Au Pérou, qui sont «une tentative pour limiter le droit des Etats d’avoir un système équilibré pour promouvoir l’accès aux médicaments», affirme Judith Rius. Elle ajoute que MSF appelle «les Etats-Unis et les dix autres pays qui négocient à s’assurer que ce volet des négociations promeuve à la fois l’innovation et l’accès aux médicaments. Et pour les pays qui ne sont pas inclus dans les TPP, de continuer à utiliser les instruments légaux pour favoriser la concurrence.»

Et l’Amérique Latine est aujourd’hui une région privilégiée pour les industries pharmaceutiques. Ainsi, selon Marmar Kabir, membre de CGT Sanofi, il est prévu d’ici à 2030 une population de 682 millions de personnes, dont 116 millions de personnes âgées, mais surtout 313 millions de personnes appartenant à la classe moyenne. Le Brésil sera sera en 2016 à la 8ème place en termes de dépenses pharmaceutiques. Fabien Cohen, de France Amérique Latine, nous explique les enjeux.

Les médicaments génériques restent pour une grande partie des populations vivant dans les pays en Développement le seul moyen d’accéder à un niveau de santé minimal. Mais les négociations régulières de libre-échange à l’échelle internationale, entre les Etats et dont les entreprises sont parties prenantes, y mettent un sérieux frein.

Le rôle de l’OMS est malheureusement faible. Comme l’affirme German Velazquez, elle est progressivement «privatisée» : plus de 80% de son budget provient de contributions privées. Et les donateurs font main basse sur les domaines, les programmes et les activités de l’agence des Nations Unies, et en fixent ainsi les priorités. L’économiste souligne surtout que les médicaments mis aujourd’hui sur le marché ne servent pas à guérir, mais à «traiter», afin de ne pas couper la dépendance des malades aux médicaments vendus. Au moment des négociations ADPIC, les intérêts des industriels avaient d’ailleurs été défendus par l’Union européenne et les États-Unis, qui réclamaient une limite aux maladies concernées par les génériques, à savoir les trois grandes maladies transmissibles (VIH-tuberculose-paludisme).

Il apparait donc désormais urgent de mettre l’accent sur l’enjeu sanitaire au coeur des négociations internationales. La santé est un droit humain à part entière, qui ne peut être privatisé ou exclusif, ne profitant qu’à une minorité de privilégiés dans le monde.

«Autant que d’une souveraineté alimentaire, il y a besoin d’une souveraineté pharmaceutique», confirme Fabien Cohen.

Photo : http://dietetique.us

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